La légende de la mort en Basse-Bretagne...

Oratoire de Saint Guirec

L'Ankou, "an, oberour ar marv", l'ouvrier de la mort, est la figure la plus redoutée, mais aussi la plus familière, de toute l'imaginaire populaire breton.

On le représente sur terre conduisant ar karrigel an ankou, "la charrette de l'ankou". Elle est tirée par une haridelle cadavérique, et ses essieux grincent sinistrement dans les chemins creux : wig ha wag, wig ha wag, telle est la musique funèbre de son attelage...

Sur mer, il tient d'une main décharnée la barre de la bag noz, la "barque de nuit" -- entendez-là un vaste navire, avec de forts mâts, comme un trois-mâts barque. Sa voilure déchirée flotte à tout vent, et à son bord, des marins appellent au secours dans cent langues différentes : ce sont les noyés du jour sur toutes les mers.

Qu'il mène sa charrette au travers des chemins creux, ou qu'il barre son navire de nuit sur les flots, c'est égal : nul bretonne et nul breton ne souhaite le croiser. Car le croiser est intersigne de mort prochaine, pour soi, ou pour les autres : il y a dit-on, toujours de la place pour de nouveaux passagers, et dans l'une, et dans l'autre...


Entrée du tumulus de Gavrinis

L'oeuvre d'Anatole Le Braz se résume pour beaucoup aujourd'hui à un unique ouvrage : La Légende de la Mort chez les Bretons Armoricains. Or Le Braz est un auteur prolifique, fort célébré en son temps. C'est dire la puissance de ce texte, de ce recueil plutôt - car il s'agit du fruit de longs et patients collectages menés en Trégor, principalement.

L'Ankou apparaît dans cent histoires ; il est invariablement sans visage autre que celui de l'infatigable faucheur. Vous avez dit faucheur ? A la vérité, pour les paysans Bretons, il était au départ -- et reste encore dans bien des campagnes -- un redoutable chasseur. Une gwerz collectée par Le Braz le montre armé d'un fusil, et non d'une faux. Et n'est-il pas accompagné de quatre chiens, les terribles chiens des Equinoxes, lorsqu'il chevauche sur la mer plutôt que sur la terre ?

Ces menus détails font de l'Ankou le digne héritier de l'antique figure du Dieu et Roi de l'Au-Là. Arawn, le roi-chasseur, dans les Mabinogion gallois, règne sur l'Annwnf "le pays des âmes". Et qu'est-ce que l'anaon breton, sinon le mot collectif désignant le peuple des âmes - et en fait, originellement, le royaume de celui que les Bretons nomment sous le nom d'Ankou...