De l'art des anciens bardes
Oratoire de Saint Guirec

L'art de conter, de tout temps, a été un mariage de la musique et de la parole ; même la prose se fait musique et rythme, dès lors qu'elle est narrative. Plus encore si des figures et formules viennent la ponctuer, comme autant de motifs qui éveillent les sens.

L'art des anciens bardes celtiques était un art oral accompli de ce point de vue. C'est sans conteste des traditions irlandaises et galloises anciennes qui nous renseignent le mieux sur ce que furent ces poètes-musiciens à différentes époques, et en différentes cultures. Poètes sacrés dans l'antiquité celtique, les textes mythologiques irlandais nous renseignent sur leurs attributions et leurs pratiques. Celles-ci n'auront de cesse d'évoluer au fil des siècles ; la christianisation et l'avènement de la féodalité les transformeront en poètes attachés à une cour précise, plutôt qu'en quasi-princes itinérants, allant d'une cour à l'autre, car universellement célébrés.

Le Barde à la Lyre de Paule (Côtes-d'Armor) - 2ème siècle avant notre ère

La conquête de l'Irlande et du pays de Galles scellera leur sort dans ces deux nations celtes : l'essor de la monarchie centralisatrice des Tudors verra leur interdiction, et leur relégation au statut de musicien-conteur vagabond, et leur disparition. La fin des "seanachie", les bardes claniques, sera plus tardive en Ecosse : les persécutions qui suivirent la défaite des clans des Hautes Terres à la bataille de Culloden eurent raison de ces derniers héritiers des antiques bardes.

Paradoxalement, c'est la figure romantique du "vieil aveugle" (an den koz dall, en breton), échangeant contre ses histoires et nouvelles, le gîte et le couvert dans de modestes fermes, qui sera le dernier écho de cette gloire passée de l'art bardique. Ces conteurs-chanteurs accomplis nourrirent largement les collectages entrepris aux 19ème et 20ème siècle, là où et quand ils subistaient.


Ma démarche de conteur a été fortement influencée par l'art de Bruno De La Salle, qui s'est attelé à la tache - immense et ardue - de redonner vie à des formes anciennes qui étaient tout à la fois musicales, narratives et poétiques : la voix du narrateur alterne entre parole parlée, scandée, parlée-chantée, et chantée, et s'appuie sur un accompagnement rythmique et/ou mélodique pour ne former qu'une même musicalité. Cornemuse à Sydney Les années passés au sein de l'Atelier Fahrenheit 451 du (hélas défunt) CLiO ont été les plus riches de ma formation de conteur, à tous égards...

Pour tracer mon propre chemin de barde, je me suis naturellement tourné vers des pratiques musicales et vocales traditionnelles de Bretagne, du Pays de Galles, d'Irlande et d'Ecosse. Formé au "kan ha diskan" à la Mission Bretonne (au sein d'Ar Gazeg Veurz) en 2001-2003, j'ai également appris vers la même époque à jouer du bodhràn (formellement auprès de J.B. Mondoloni à l'association irlandaise, puis en jouant en session avec le groupe irlandais Steam Up!, où je me suis lié d'amitié avec N. Dupin -- le remarquable percussionniste du groupe Scoops) et de la grande cornemuse écossaise (au sein de l'Ecole de la cornemuse de Moigny-sur-Ecole, puis du 91st GHPB, dont je suis membre depuis 2015).

  Ur Gentel Vat, un air traditionnel breton adapté pour la lyre bardique irlandaise A ces trois instruments éponymes de la tradition celtique vivante que sont la voix de tête, la cornemuse et le bodhràn, j'aime associer des reconstructions d'instruments anciens, ou anciennement joués dans le monde celtique, comme des lyres bardiques médiévales, à cordes frottées ou pincées (lyres spécialement reconstituées avec un amoureux d'archéologie musicale, feu Danaë le fondateur d'Orphic Airs - voir la photo du bandeau de cette page !), ou des dulcimers des Appalaches (ces instruments sont d'origine irlando-écossaise).

(cliquez pour m'entendre jouer une mélodie bretonne traditionnelle, Ur Gentel Vat, sur une reconstruction de lyre irlandaise du haut-moyen-âge)

Et enfin, pour une touche d'exotisme, ou parce que ces instruments sont apparentées aux antiques trompes celtiques (dont le fameux carnyx), j'aime à jeter une pincée de didjeridoo dans certains récits. J'ai été formé au jeu du didjeridoo dans les ateliers de Didgeridoo Breath à Fremantle (Western Australia), puis en étant exposé aux techniques de jeu traditionnelles de la Terre d'Arnhem lors de mon travail sur le terrain en qualité de linguiste australianniste.

Enfin, au fil du long travail de maturation sur l'Exil des Fils d'Uisliu, l'épopée irlandaise qui fut l'objet de mon compagnonnage au sein de l'Atelier Fahrenheit 451, j'ai fait la rencontre de Birgit Yew, une Avec Birgit Yewvioloncelliste d'exception, amoureuse de longue date des traditions musicales celtiques. Ensemble nous avons exploré plus avant encore ce qui serait un art bardique nouveau, entre slam, scansion, chant et narration, mariant la voix ou les voix humaines avec celle d'un violoncelle devenu celte, pour tisser des histoires à la fois modernes et ancrées dans les temps anciens.


Racontée au bodhran

En contant la matière celtique ancienne à l'unission de différents instruments, je m'efforce de placer mes pas dans ceux que l'on nomma "bardes" ou "poètes" (filid) dans le monde celtique ancien. Il ne s'agit pas de faire oeuvre de reconstruction historique (et que reconstruire, car l'art bardique a été si changeant dans sa forme et dans ses buts et justifications), mais retrouver un peu du souffle qui animait ces conteurs-musiciens au temps jadis. De lui donner une nouvelle incarnation, en résonnance avec notre époque.